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Travail dissimulé : Envoi inutile du PV au transporteur

Affaires - Transport
25/01/2021
Faits et procédure 
Un transporteur routier de marchandises espagnol, opérant entre Irun et la Bretagne, est reconnu coupable d’exécution de travail dissimulé et condamné en première et en seconde instance, sur le fondement d’un procès-verbal établi par les agents des Urssaf de ce chef d’infraction. En effet, ces derniers, après avoir été avertis par une direction régionale de l’emploi d’un cas de fraude décelé à la suite du contrôle subi, en avril 2014, par deux conducteurs français, salariés du transporteur, ont conclu, après avoir auditionné celui-ci à deux reprises – en septembre 2014, puis en avril 2016 – qu’il était redevable de cotisations sociales en France : l’activité est en réalité exercée en France par des conducteurs français résidant dans l’Hexagone, de sorte que l’installation sur la péninsule ibérique de l’entreprise n’est qu’une « optimisation sociale», pour les Urssaf . Le transporteur revendique la nullité de la procédure engagée à son encontre au motif que les poursuites pénales ordonnées par le procureur de la République ont été étayées par un procès-verbal de travail illégal dont il n’a pas été rendu préalablement destinataire alors que les agents des Urssaf avaient procédé à un contrôle (C. trav., art. L. 8113-7). Aussi, au soutien de sa défense, le transporteur invoque la possession par ses salariés du certificat E 106.

La Cour de cassation, saisie, rejette le pourvoi. Les agents des Urssaf ont agi non pas dans le cadre général de l’article 8113-7 du code de travail mais dans celui, spécifique, du travail illégal (C. trav., art. L. 8271-1, L. 8271-1-2 et L. 8271-8). Or, en cette matière, le législateur n’impose pas une transmission préalable du procès-verbal au suspect avant sa communication au procureur de la République. 
Par ailleurs, le certificat E 106 allégué pour contester le travail illégal est jugé sans effet, le transporteur étant poursuivi pour ne pas avoir déclaré son activité aux organismes sociaux français.

Observations
▶ À l’instar notamment des agents des Directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal), ceux des Urssaf (Unions pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales) participent à la lutte contre le travail dissimulé et à cette fin, sont habilités à dresser un procès-verbal de travail dissimulé (C. trav., art. L. 8271-1, L. 8271-1-2 et L. 8271-8). Ce procès-verbal est ensuite transmis « directement » au procureur de la République qui décidera, en fonction des éléments en sa possession, de l’opportunité des poursuites pénales (C. trav. art., L. 8271-8). Sa communication préalable ou concomitante à l’intéressé n’est prévue ni par cet article L. 8271-8, ni d’ailleurs par aucun autre article contenu dans la partie « Travail illégal » du code du travail ; c’est là que le bât blesse ou devrait blesser car le suspect, avant de devenir prévenu, n’a pas été placé a priori dans la confidence du contenu du procès-verbal. Le principe de la contradiction, le respect des droits de la défense, et plus généralement les principes généraux d’un procès équitable, semblent être bafoués par ces dispositions spécifiques, pourtant envisagées plus généralement dans la partie « Inspection du travail », qui précède celle du « Travail dissimulé ». 

▶ La question, qui peut paraître légitimement délicate, n’est pourtant pas nouvelle et la chambre criminelle s’est déjà positionnée : le procès-verbal, établi du chef de travail dissimulé, qui n’est pas transmis à l’intéressé, transporteur, est régulier et ne peut être entaché de nullité (Cass. crim., 13 oct. 2020, n° 20-82.160, in BTL 2020, n° 3807, p. 643, Lamyline). En effet, enseigne en particulier cet arrêt d’octobre 2020, les dispositions du code du travail applicables (C. trav., art. L. 8221-1 et L. 8271-7) – à l’exclusion de celles des articles L. 3241-1 et s. du code des transports – n’exigent pas une telle transmission. 

▶ Cette solution retenue par la Cour de cassation est confortée par une décision rendue par le Conseil constitutionnel un mois plus tard, dans laquelle les Sages de la rue de Montpensier, saisis d’une question prioritaire de constitutionnalité dans une affaire mettant en cause l’Urssaf (Cons. const., 13 nov. 2020, n° 2020-864 QPC, BTL 2020, n° 3808, p. 659, Lamyline), considèrent qu’un redressement de cotisations sociales effectué sur le fondement d’un procès-verbal de travail dissimulé, non communiqué préalablement au transporteur coupable, ne méconnaît point les dispositions de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen garantissant le respect des droits de la défense. Le présent arrêt précise qu’en matière de travail illégal, seules les dispositions qui s’y rapportent s’appliquent, à l’exclusion de celles – générales – de l’article L. 8113-7 du code du travail (specialia generalibus derogant, les règles spéciales dérogent aux règles générales), plus protectrices en ce qu’elles prévoient la transmission en cause à l’intéressé. 

▶ La position de la jurisprudence peut cependant s’expliquer par le fait que le transporteur a été auditionné, à deux reprises, précisément dans le cadre d’une enquête portant sur le travail illégal – motif connu de la seule administration, répliqueront les sceptiques – et qu’à cette occasion, les faits qui lui sont reprochés ont dû (!) lui être notifiés (articles L. 8271-6-1 du code du travail et 61-1 du code de procédure pénale), de sorte qu’une transmission du procès-verbal pourrait paraître superfétatoire. Aussi, le transporteur sera en mesure de prendre connaissance des faits qui lui sont reprochés dans le procès-verbal en sollicitant la communication du dossier pénal lors de la procédure engagée. 
Convainc ou convaincra pas. En tout état de cause, il faut donc, ici et maintenant, retenir que le procès-verbal de travail dissimulé établi par tout agent habilité à cette fin par l’article L. 8271-1-2 du code du travail n’a pas à être communiqué à l’inquiété avant de l’être au procureur de la République.
Par ailleurs, l’arrêt enseigne que le juge pénal n’est pas lié par un certificat E 106 devenu S1, qui atteste des droits à prestation d’assurance maladie remis par l’organisme de sécurité sociale d’un État européen autre que la France et qui permet à son titulaire, salarié du transporteur résidant en France en l’occurrence, de s’inscrire auprès d’un organisme français de santé, dans la mesure où est en cause un défaut de déclaration aux organismes sociaux français.


(Cass. crim., 12 janv. 2021, n° 20-80.647, P+B+I).