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Appels d’offres

Affaires - Transport
09/02/2021
L’appel d’offres est un outil dont dispose tout opérateur économique soucieux de la qualité du service et/ou du produit fourni à ses clients tout en s’assurant de la viabilité de son activité. Pour autant, à quelle fréquence doit-il ou peut-il en user et à quelles fins ? La question se révèle pertinente dès lors que le recours à cette pratique pourrait, dans certaines circonstances, avoir des répercussions parfois négatives sur la relation commerciale et porter ainsi préjudice à l’un ou à l’autre des contractants.
Les affaires sont les affaires
En matière de commerce, l’objectif de tout opérateur est de trouver le ou les prestataires proposant le meilleur rapport qualité-prix du marché. Dans cette optique, le recours à l’appel d’offres permet une large diffusion des besoins de l’entreprise émettrice, laquelle sera libre de choisir l’heureux élu parmi tous les soumissionnaires. Mais alors que devient, le cas échéant, le partenaire qui avait déjà noué une relation commerciale avec le lanceur de l’appel d’offres pour le même type de service ? C’est là que le bât blesse.
 
Une relation précaire
Le fait de mettre en concurrence son cocontractant avec d’autres prestataires est, de toute évidence, susceptible d’impacter la relation commerciale préexistant à cet appel. Dans quelle mesure ? Lorsqu’elle est fréquente, c’est-à-dire qu’elle intervient à chaque renouvellement de contrat et ce quelle que soit la qualité des services rendus, la pratique de l’appel d’offres fragilise la relation commerciale, à tel point que le collaborateur de l’émetteur de l’appel ne saurait légitimement croire en la stabilité de leur relation. Or, ce critère de stabilité constitue, en sus de la durée et de l’intensité, l’une des conditions requises pour caractériser une relation commerciale établie, dont la rupture brutale (sans préavis) entraîne pour son auteur une obligation de réparation (C. com., art. L. 442-1, II, anc. L. 446-6, I, 5°). Dès lors chaque appel d’offres peut s’analyser en une redistribution des cartes, un renouvellement – en quelque sorte – de la collaboration précaire. Et le cocontractant qui subit cette pratique se retrouve doublement lésé dans la mesure où, non seulement, il marche sur des œufs mais en plus, il risque de se voir refuser la qualification de relation commerciale établie dans le cas où son contrat venait à être rompu sans préavis (voir Cass. com, 18 oct. 2017, n° 16-15.138, dans cette affaire, la Haute juridiction, statuant sur une relation commerciale qui avait duré environ six ans, a jugé que les appels d’offres systématiquement lancés par le donneur d’ordre avant chaque commande passée à son contractant caractérisaient la précarité de leur relation, en dépit de la régularité des commandes, Lamyline). Attention toutefois à l’hypothèse selon laquelle le voiturier ignorait tout de cette pratique, récurrente, de son chargeur : celle-ci ne constituerait plus un indice susceptible de faire croire à une relation précaire.
 
Une volonté manifeste de rompre…
En présence d’une relation commerciale établie, quel serait l’impact d’un appel d’offres ? La réponse à cette question requiert un retour à la lettre de l’article L. 442-1, II précité du code de commerce, selon lequel une rupture brutale est une rupture intervenue « en l’absence d’un préavis écrit tenant compte notamment de la durée de la relation commerciale, en référence aux usages du commerce ou aux accords interprofessionnels. » Dès lors, un appel d’offres notifié par écrit au contractant, et mentionnant un délai de préavis approprié, écarte la qualification de rupture brutale (voir Cass. com., 14 févr. 2018, n° 16-24.667, l’arrêt déféré est cassé pour ne pas avoir constaté la réalité de l’appel d’offres et, par voie de conséquence, la connaissance par le contractant d’un éventuel changement de prestataire, élément de nature à écarter la thèse d’une rupture brutale de la relation, Lamyline). Et la jurisprudence de préciser que, dans ce cas de figure, le point de départ du délai de préavis n’est pas la date de notification du choix du candidat retenu mais celle de la mise en compétition (voir CA Paris 31 juil. 2019, n° 16/11545, pour la cour, l’annonce de l’organisation d’un appel d’offres caractérise une volonté de ruptures même si le contractant est invité à y participer, « en ce qu'une date de fin des relations commerciales, quelle que soit l'issue de l'appel d'offres lui est notifiée ». C’est donc cette date de fin qui constitue le point de départ du délai de préavis, Lamyline). En d’autres termes, pour le juge, le simple fait de lancer un appel d’offres traduit la volonté de la société émettrice de mettre un terme à sa relation commerciale avec son cocontractant et déclenche le cours du délai de préavis.
 
Cette position semble quelque peu radicale car le partenaire « titulaire » qui a, à plusieurs reprises, remporté les appels d’offres, pourrait légitimement s’attendre à être de nouveau choisi. En outre, la mise en compétition de plusieurs transporteurs par exemple peut, dans certains cas, résulter d’une volonté de mettre la pression sur son actuel partenaire commercial, le stimuler – de nouveau ? – alors même que le donneur d’ordre n’a aucunement l’intention de changer de prestataire. Attention cependant à ne pas franchir les limites du raisonnable.
 
… Ou une pression malsaine ?
L’usage de l’appel d’offres ne doit pas avoir pour but de « soumettre ou de tenter de soumettre l'autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». C’est la mise en garde de l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce qui, en pratique, interdit d’imposer à son cocontractant commercial, par écrit ou de de manière purement consensuelle, des conditions tarifaires immodérées au regard de la situation du marché et de l’économie générale du contrat, sous peine d’être « facilement » remplacé. En tout état de cause, c’est au juge de trancher en tenant compte des faits de l’espèce et des éléments de preuve rapportés par l’entreprise mise en cause (voir BTL 2021, n° 3816, p. 38, Lamyline).

Par Aïcha Sylla Mendy