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Transport de colis : il est nécessaire de « mieux définir la dépendance économique »

Affaires - Transport
06/01/2023
L’avocat Emmanuel Molina défend ses clients Hervé Street et Alexandre Dol dans leur combat judiciaire contre l’expressiste TNT-FedEx. Il porte d’autres dossiers similaires de sous-traitants de transport de colis ou d’anciens responsables logistiques licenciés pour avoir dénoncé les méthodes de donneurs d’ordre contraires au droit des sociétés, au droit du travail et au droit de la concurrence. Selon lui, c’est à la loi de définir les seuils de déclenchement de la dépendance économique.
Bulletin des transports : Le boom du e-commerce est-il en cause dans le combat mené par vos clients à l’encontre de leurs donneurs d’ordres ?
Maître Emmanuel Molina : Hervé Street et Alexandre Dol ont créé une association pour batailler en justice et dénoncer les pratiques actuelles imposées par les donneurs d’ordre aux sous-traitants de transport de colis. L’existence d’un rapport du faible au fort se caractérise par une situation de dépendance économique majeure et un déséquilibre significatif dans l’exécution des relations contractuelles. C’est particulièrement vrai dans le cas des Transports Pavanello dont le dirigeant, Hervé Street, est l’un des sous-traitants de l’expressiste TNT-FedEx et pour lequel il effectuait des livraisons dans les 12e et 13e arrondissement de Marseille, à Allauch, Plan de Cuques, Aubagne, Cassis et  La Ciotat.
La situation d’Alexandre Dol est un peu différente parce que cet ex-salarié de TNT-FedEx, responsable du dépôt de Marignane qui assurait 20 000 colis par jour, dont plus de 80 % livrés par des sous-traitants, a été licencié. Dans les faits, il a refusé un certain nombre de pratiques contraires à la conception qu’il se faisait de sa mission : ententes au sens du droit de la concurrence, salariat déguisé, relations de dépendance économique, pression sur les prix imposée aux entreprises de livraison express.

BTL : Quelle est votre feuille de route dans cette bataille ?
Me E.M. : Mon rôle, c’est d’abord la poursuite judiciaire des contentieux en cours. C’est ensuite un travail de sensibilisation pour que soit connue la réalité économique et humaine d’un grand nombre d’entreprises sous-traitantes dans le transport de colis, au regard des conditions contractuelles et économiques qui leurs sont imposées.
C’est enfin un travail d’accompagnement de toutes celles et ceux qui sont intéressés à ce sujet. Certains parlementaires (1), en contact avec mes clients, se sont émus de cette situation. Une réflexion législative semble être engagée pour rationaliser la manière dont les choses se déroulent au plan contractuel, dans l’optique d’une plus grande moralisation afin d’éviter des tarifs toujours plus bas imposés par les donneurs d’ordre. Les sous-traitants doivent pouvoir bénéficier de conditions économiques normales et dégager des marges d’exploitation pour vivre convenablement du fruit de leur travail (2).  

BTL : Comment sortir des « savings », ces fameuses économies que les expressistes imposent à leurs sous-traitants  ?  
Me E.M. : La première chose, c’est d’abord le respect des contrats signés de façon à permettre l’exécution loyale et entière des prestations en cours. La deuxième voie d’action consiste à créer les conditions juridiques pour améliorer la situation des sous-traitants dans le respect de leur  réalité économique. La voie la plus efficace, à terme, consiste à plancher sur une réforme législative de fond et à réfléchir à un certain nombre de concepts au cœur de la loi, notamment une meilleure définition des seuils qui permettraient de considérer qu’un sous-traitant est en situation de dépendance économique et dans un rapport de déséquilibre significatif. Ces notions, laissées aujourd’hui à l’appréciation des juridictions, mériteraient d’être davantage encadrées et définies au plan légal. Les sous-traitants sont étranglés : ils doivent obtenir réparation lorsque certaines pratiques sont abusives, déloyales ou trop déséquilibrées.

BTL : Quel est l’état des lieux du contentieux lié à Alexandre Dol ?
Me E.M. : Cet ancien responsable du dépôt TNT-FedEx de Marignane a été licencié pour faute grave. Le conseil des prud’hommes de Martigues a considéré que le licenciement ne pouvait pas reposer sur une faute grave et ne prenait pas suffisamment en compte le préjudice économique et moral dont il a été victime. Nous avons donc fait une demande devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence pour qu’elle réévalue, d’une part, le montant des indemnisations et qu’elle considère, d’autre part, que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Elle rendra sa décision dans plusieurs mois.  

BTL : La situation d’Hervé Street est-elle emblématique de la forte pression sur les prix de la sous-traitance ?
Me E.M. : Effectivement, et c’est la raison pour laquelle il est en train de fédérer autour de lui des dirigeants de TPE/PME qui subissent des méthodes similaires et veulent désormais faire porter leurs droits plus haut et plus fort. Il faut rendre plus juste le fonctionnement d’un dispositif économique d’ensemble qui va se traduire par une précarité croissante. Il importe de mieux protéger les sous-traitants du transport de colis de l’ultra-concurrence du secteur.

(1) Il s’agit des députés LFI des Bouches-du-Rhône, Manuel Bompard, Hendrik Davi, Sébastien Delogu ainsi que du député LFI de Seine-Saint-Denis, Thomas Portes, membre de la commission des lois à l’Assemblée nationale.
(2) Selon les chiffres de l’ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques), le chiffre d’affaires du marché de la distribution de colis est de 9,6 Mds€ en 2021 (en progression de + 11,4 % sur un an).

Propos recueillis par Louis Guarino