<< Retour aux articles
Image

Compétence des juridictions spécialisées en matière militaire et jugement des infractions commises par des militaires de la gendarmerie agissant en maintien de l'ordre

Pénal - Pénal
18/01/2019
Saisi d’une QPC transmise par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel se prononce sur la conformité de l’article 697-1 du Code de procédure pénale : en l’absence de discrimination injustifiée à l’égard du jugement des membres de la police nationale dans le service du maintien de l'ordre, les dispositions du texte sont jugées conformes à la Constitution.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation, a, par un arrêt rendu en octobre 2018, décidé de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l’article 697-1 du Code de procédure pénale, formulée à l'occasion du pourvoi formé contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la Cour d'appel de Toulouse dans une procédure suivie contre personne non dénommée des chefs de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner et d'homicide volontaire (Cass. crim., 16 oct. 2018, n° 18-82.903, P+B).

Selon le requérant, les dispositions institueraient une différence de traitement injustifiée entre les parties civiles selon que l'auteur de l'infraction commise dans l'exercice d'une mission de maintien de l'ordre présente la qualité de militaire ou celle de membre de la police nationale. La QPC était ainsi formulée : « les dispositions de l'article 697-1 du Code de procédure pénale qui donnent compétence aux juridictions spécialisées mentionnées par l'article 697 du même code dans l'hypothèse d'une infraction commise par un militaire de la gendarmerie dans le service du maintien de l'ordre, instituent -elles une différence de traitement injustifiée entre les parties civiles, selon que l'auteur des faits dont elles sont victimes est un militaire de la gendarmerie, bénéficiant des dispositions susvisées, ou un membre de la police nationale, à l'égard duquel s'appliquent les règles de compétence de droit commun, et méconnaissent-elles par conséquent les principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant la justice garantis par les articles 1er, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ? ».

Pour la Chambre criminelle, la question présentait un caractère sérieux, dès lors que la disposition contestée, qui réserve aux seules juridictions mentionnées à l'article 697 du Code de procédure pénale, la compétence pour connaître des crimes et des délits commis sur le territoire de la République par les militaires de la gendarmerie dans l'exercice du service du maintien de l'ordre. Ceci, alors qu'il résulte des articles L. 211-9, L. 421-1 et L. 435-1 du Code de la sécurité intérieure et L. 1321-1 et L. 2338-3 du Code de la défense, que le législateur a entendu mettre fin aux distinctions opérées entre les militaires de la gendarmerie et les fonctionnaires relevant de la police nationale en charge des opérations de maintien de l'ordre, tant quant à la désignation de l'autorité sous le commandement de laquelle ces missions sont remplies, que sur les hypothèses dans lesquelles les membres de ces services peuvent faire usage de leurs armes, notamment, afin de mener à bien ces missions, hormis l'autorisation au bénéfice de la seule gendarmerie nationale, en application du quatrième de ces textes et en exécution d'une procédure d'autorisation particulière, de recourir à des moyens militaires spécifiques lorsque le maintien de l'ordre public le nécessite. La disposition contestée était donc susceptible de porter une atteinte disproportionnée aux principes d'égalité devant la loi et d'égalité devant la justice.
 
Après avoir réduit le champ de la QPC aux mots « elles restent néanmoins compétentes à leur égard pour les infractions commises dans le service du maintien de l'ordre » figurant au troisième alinéa de l'article 697-1 du Code de procédure pénale, Le Conseil constitutionnel, acte de la différence de traitement entre les policiers et les gendarmes.
En effet, « l'article 697-1 du Code de procédure pénale réserve aux juridictions spécialisées en matière militaire prévues à l'article 697 du même code la compétence pour connaître des crimes et délits commis par les militaires dans l'exercice du service. Si son troisième alinéa apporte une dérogation à cette règle de compétence, pour ce qui concerne les militaires de la gendarmerie, s'agissant des infractions commises dans l'exercice de leurs fonctions relatives à la police judiciaire ou à la police administrative, il précise, en revanche, que les juridictions spécialisées en matière militaire demeurent compétentes à leur égard pour les infractions commises dans le service du maintien de l'ordre. Dans la mesure où les membres de la police nationale qui commettent de telles infractions dans l'exercice des missions de maintien de l'ordre relèvent des juridictions ordinaires, les dispositions contestées établissent une différence de traitement entre les justiciables selon la qualité de militaire de la gendarmerie ou de membre de la police nationale de l'auteur de l'infraction commise dans ces circonstances ».

Poursuivant son analyse, le Conseil constitutionnel note qu’en premier lieu, les juridictions spécialisées en matière militaire sont désignées parmi les tribunaux de grande instance et les cours d'assises et qu’elles présentent trois spécificités par rapport à ces juridictions judiciaires ordinaires (ressort territorial étendu à celui d'une ou de plusieurs cours d'appel ; affectation spéciale des magistrats des tribunaux correctionnels spécialisés en matière militaire et composition spécifique de la cour d’assises spécialisée ; C. pr. pén., art. 698-6 et 698-7). Mais il relève que « ces règles d'organisation et de composition de ces juridictions spécialisées en matière militaire présentent, pour les justiciables, des garanties égales à celles des juridictions pénales de droit commun, notamment quant au respect des principes d'indépendance et d'impartialité des juridictions ».
En second lieu, il est observé que la gendarmerie nationale relève des forces armées et qu’à ce titre, les militaires de la gendarmerie sont soumis aux devoirs et sujétions de l'état militaire définis à la quatrième partie du Code de la défense. Ainsi, comme d’ailleurs les autres militaires, ils sont justiciables, en raison de leur statut, des infractions d'ordre militaire (C. just. milit., art. L. 321-1 à L. 324-11) et de peines militaires spécifiques, prononcées par la juridiction (C. just. milit., art. L. 311-3, telles que destitution ou perte de grade). Ils sont également soumis à certaines procédures spécifiques d'exécution des peines (C. just. milit., art. L. 261-1 et s.). Et le Conseil en déduit que « compte tenu de ces particularités de l'état militaire, il était loisible au législateur, au nom de l'objectif de valeur constitutionnelle de bonne administration de la justice, de prévoir la spécialisation des formations juridictionnelles chargées de connaître des infractions de droit commun commises par eux dans l'exercice de leur service, afin de favoriser une meilleure appréhension de ces particularités ».

Les militaires de la gendarmerie demeurant soumis à ces règles spéciales dans leur activité de maintien de l'ordre, ils ne sont, par conséquent, pas placés, pour les infractions commises dans ce cadre, dans la même situation que les membres de la police nationale.
« Dès lors, en dépit des similitudes du cadre d'action des militaires de la gendarmerie et des membres de la police nationale dans le service du maintien de l'ordre, le législateur n'a pas, en se fondant sur les particularités de l'état militaire des gendarmes pour prévoir la compétence des juridictions spécialisées en matière militaire, instauré de discrimination injustifiée entre les justiciables ». Or il était loisible au législateur « de procéder ainsi, indépendamment de la circonstance qu'il ait prévu une exception à la compétence des juridictions spécialisées en matière militaire dans le cas particulier d'infractions commises à l'occasion de l'exercice par les militaires de la gendarmerie de leurs fonctions relatives à la police judiciaire ou administrative ».

Le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la justice est donc écarté et les mots « elles restent néanmoins compétentes à leur égard pour les infractions commises dans le service du maintien de l'ordre » figurant au troisième alinéa de l'article 697-1 du Code de procédure pénale, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarés conformes à la Constitution.