Autorité du criminel : la CNDA n’est pas liée par la décision de la juridiction pénale internationale
Pénal - Pénal
18/03/2019
Le Conseil d’État estime que l’application des clauses d’exclusion du statut de réfugié, définies par la Convention de Genève de 1951, ne peut pas être remise en cause par l’acquittement prononcé, en l’espèce, du chef de génocide et complicité, par le TPI-Rwanda.
Les faits à l’origine de la présente décision sont les suivants. Un ressortissant rwandais d'origine hutue et officier supérieur au sein des forces armées rwandaises depuis 1993, sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié. Cette qualité lui est refusée par l'Office de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) en janvier 1999, au motif qu'il entre dans le champ de la clause d'exclusion prévue par l'article 1er, F, a) de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 (D. n° 54-1055, 14 oct. 1954, JO 29 oct.).
Le requérant conteste le refus devant la Commission des recours des réfugiés (aujourd’hui la Cour nationale du droit d'asile, CNDA ; CESEDA., art. L. 731-2). En décembre 2000, la Commission juge qu'il n'y avait pas lieu, en l'état, de statuer sur son recours. Ceci, dès lors que, postérieurement à l'introduction du recours, le requérant a été transféré, par décision de l'autorité judiciaire française, devant le tribunal pénal international pour le Rwanda (TPI-R) devant lequel il était poursuivi pour crime contre l'humanité, entente en vue de commettre un génocide et violation grave de l'article 3, commun aux conventions de Genève et au Protocole additionnel II.
Statuant en appel, le TPI-R prononce l'acquittement en février 2014.
Le requérant demande alors à la CNDA de procéder à l'examen du recours formé devant la commission des recours des réfugiés. Par la décision attaquée, la Cour juge, de la même manière que l’OPFRA, qu'il devait être exclu du statut de réfugié en application de l'article 1er, F, a) de la Convention de Genève. Le requérant forme un pourvoi devant le Conseil d’État (CESEDA, art. R. 733-35).
La question posée au Conseil d’État était donc, notamment, celle de savoir si le prononcé d’un acquittement ou d’une relaxe par une juridiction pénale internationale est ou non de nature à justifier une remise en cause de la décision des juridictions nationales refusant le bénéfice du statut de réfugié conformément aux stipulations de la Convention de Genève de 1951. En d’autres termes, de savoir si la CNDA est ou non liée par les termes et le sens de la décision de la juridiction pénale internationale concernée.
D’abord, le Conseil d'État rapelle les dispositions applicables à la cause :
l’article 1er, F de la Convention de Genève, qui exclut le bénéfice de la Convention, notamment pour les personnes dont on aura des raisons sérieuses de penser qu'elles ont commis un crime contre la paix, un crime de guerre ou un crime contre l'humanité, au sens des instruments internationaux élaborés pour prévoir des dispositions relatives à ces crimes. ;
l'article L. 711-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, selon lequel le statut de réfugié n'est pas accordé à une personne qui relève de l'une des clauses d'exclusion prévues aux sections D, E ou F de l'article 1er de la Convention de Genève, la section F s'appliquant également aux personnes qui sont les instigatrices ou les complices des crimes ou des agissements qui y sont mentionnés, ou qui y sont personnellement impliquées ;
Ensuite, le Conseil d’État examine les griefs formulés à l’encontre de la décision de la CNDA, en se prononçant d’abord sur des questions de pure procédure :
sur l’absence de communication au requérant, des documents ou extraits de documents auxquels renvoyaient les notes de bas de page figurant au sein du mémoire en défense produit par l’OFPRA devant la CNDA : le Conseil d’État considère qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que les éléments en cause, pour la plupart d'entre eux, étaient publics et aisément accessibles et, pour les autres, ont fait l'objet d'une communication au requérant un autre stade de la procédure. Par suite, le moyen tiré de ce que la Cour aurait méconnu le caractère contradictoire de la procédure et les droits de la défense, ne peut qu'être écarté ;
sur la circonstance que la CNDA se soit notamment fondée sur l'arrêt d’acquittement rendu par le TPI-R en février 2014, rédigé en anglais : ceci n'est pas de nature à avoir porté atteinte aux droits de la défense, dès lors qu'il est loisible à la Cour de prendre en considération des pièces non traduites. En tout état de cause, c'est au requérant qu'il appartenait le cas échéant, comme le lui avait au demeurant demandé la Cour, de produire une traduction de cet arrêt dont lui-même se prévalait ;
sur la méconnaissance de la Convention européenne des droits de l’homme :
la décision attaquée, qui se prononce sur le droit du requérant au bénéfice du statut de réfugié, n'a ni pour objet, ni pour effet de le priver de la possibilité de séjourner en France et de fixer le pays à destination duquel il devrait, le cas échéant, être reconduit. Le requérant ne saurait donc utilement soutenir une méconnaissance de l’article 3 de la Convention européenne (interdiction de la torture), en ce qu'un retour au Rwanda l'exposerait à des traitements inhumains et dégradants,
la CNDA ne statuant ni sur des contestations de caractère civil, ni sur des accusations en matière pénale, il ne saurait, pas davantage, utilement se prévaloir de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la Convention européenne (droit à un procès équitable) ;
Puis le Conseil d’État se prononce sur la portée de l’arrêt d’acquittement du TPI-R.
Dans ce cadre, il indique d’une part, que l'autorité de chose jugée par une juridiction pénale française ne s'impose au juge administratif qu'en ce qui concerne les constatations de fait qu'elle a retenues et qui sont le support nécessaire du dispositif d'un jugement qu'elle a rendu et qui est devenu définitif. Mais la même autorité ne saurait s'attacher aux motifs d'un jugement de relaxe ou d'acquittement, tirés de ce que les faits reprochés ne sont pas établis ou de ce qu'un doute subsiste sur leur réalité. Ces principes s'attachent également aux décisions juridictionnelles rendues par les tribunaux pénaux internationaux créés par le Conseil de sécurité des Nations Unies.
D’autre part, il estime qu’il ressort des termes mêmes de l'article 1er, F de la Convention de Genève, que les clauses d'exclusion peuvent être mises en œuvre dès lors qu'il existe « des raisons sérieuses de penser » que le demandeur d'asile a commis un ou plusieurs des crimes qui y sont mentionnés. Pour le Conseil d’État, l'application de ces stipulations n'exige pas l'existence d'une preuve ou d'une conviction au-delà de tout doute raisonnable et faisant obstacle à l'application de la règle pénale de la présomption d'innocence.
Il s'ensuit que, saisie d'un recours formé par un demandeur d'asile ayant fait l'objet d'un jugement de relaxe ou d'acquittement par un tribunal pénal international fondé sur la circonstance que les faits lui étant reprochés ne sont pas établis ou qu'un doute subsiste sur leur réalité, il appartient à la CNDA, le cas échéant, d'apprécier, sans être tenue par ce jugement, s'il existe des raisons sérieuses de penser que l'intéressé entre dans le champ des clauses d'exclusion mentionnées au F de l'article 1er.
Dès lors, en l’espèce, la Cour n'a, en jugeant comme elle l’a fait, ni commis d'erreur de droit, ni méconnu l'autorité de chose jugée s'attachant à l'arrêt rendu en 2014, par lequel le tribunal pénal international pour le Rwanda a prononcé en appel l'acquittement du requérant, au motif que les faits pour lesquels il était poursuivi n'étaient pas établis.
Enfin, le Conseil d’État procède à un contrôle du raisonnement, au fond, de la CNDA.
Dans ce cadre, il mentionne qu’il ressort des pièces du dossier, que le requérant, officier supérieur au sein des forces armées rwandaises depuis 1993, a soutenu le régime du Président Habyarimana, ainsi que le gouvernement intérimaire et combattu le Front patriotique rwandais. Au cours de l'année 1994, notamment entre les 6 avril et 4 juillet 1994, alors qu'avaient lieu des massacres génocidaires de masse décidés par le gouvernement intérimaire auquel il avait prêté allégeance, il a commandé à Kigali le bataillon blindé de reconnaissance, dit bataillon RECCE, l'une des trois unités d'élite de l'armée rwandaises, qui a directement pris part à la planification, à l'organisation et à la réalisation des massacres.
Or, si le requérant fait valoir qu'il se serait en réalité opposé au génocide et aurait protégé des personnes menacées, de telles assertions ne sont pas corroborées par les pièces versées au dossier des juges du fond. Dans ces conditions, en estimant qu'il existait des raisons sérieuses de penser qu'il avait contribué à la préparation ou à la réalisation du crime de génocide ou en avait facilité la commission ou avait assisté à son exécution sans chercher à aucun moment, eu égard à sa situation, à le prévenir ou à s'en dissocier, au sens et pour l'application de l'article1er, F, a) de la Convention de Genève, et devait, par suite, être exclu du statut de réfugié, la CNDA, qui n'a pas méconnu les règles de dévolution de la charge de la preuve, n'a pas inexactement qualifié les faits de l'espèce.
Il résulte de tout ce qui précède que le requérant n’est pas fondé à demander l'annulation de la décision attaquée.
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