8 questions sur… la fraude ou l’infidélité du transporteur
Affaires - Transport
21/09/2020
Le code de commerce prévoit une prescription annale spécifique aux actions en responsabilité dérivées du contrat de transport. Si cette spécificité apparaît comme une faveur accordée au transporteur, celui-ci peut, néanmoins, en perdre le bénéfice s’il est jugé coupable de fraude ou d’infidélité. Au juge de trancher.
1) Qu’entend-t-on par fraude ou infidélité du transporteur ?
L'article L. 133-6 précité du code de commerce n'en donne aucune définition ; les codes civil et des transports, pas davantage. Il faut donc se tourner vers la jurisprudence pour appréhender cette notion. Une cour d’appel s’est attelée à la tâche et a considéré que cette notion sous-entendait « une volonté malveillante tendant à dissimuler le préjudice causé à l'expéditeur ou au destinataire ou à induire en erreur ceux-ci afin de paralyser toute action en justice ou demande indemnitaire » (CA Paris, 6 oct. 2004, n° 02/16370, Sté Calberson c/ Sté Staci, BTL 2004, p. 704 ; CA Toulouse, 22 janv. 2013, n° 11/02793, GLS c/ DG Diffusion, BTL 2013, n° 3446, p. 96, Lamyline).
2) Quels sont leurs effets ?
Si la fraude ou l’infidélité est avérée – la preuve en incombe à la partie qui s’en prévaut –, s’opère une substitution de la prescription quinquennale de droit commun (C. com., art. L. 110-4) par la courte prescription annale applicable au contrat de transport.
3) En quoi diffèrent-t-elles de la faute inexcusable ?
La faute inexcusable (remplaçante de la faute lourde) est clairement définie par le législateur. Une telle faute suppose une « faute délibérée qui implique la conscience de la probabilité du dommage et son acceptation téméraire sans raison valable » (C. com., art. L. 133-8). Tandis que la fraude ou l’infidélité du transporteur influe sur le régime de la prescription, la faute inexcusable joue un rôle dans l’évaluation du montant de l’indemnisation. En effet, lorsqu’elle est retenue, elle écarte l’application des plafonds de réparation fixés par les différents contrats type, obligeant ainsi le voiturier à indemniser son donneur d’ordre à hauteur de l’intégralité du préjudice subi.
4) Sont-elles spécifiques au transporteur à l’exclusion des autres parties au contrat?
Bien qu’elle étende, à son alinéa 2, le délai d’un an aux actions exercées contre les autres intervenants au contrat de transport qui sont le commissionnaire, l’expéditeur et le destinataire, la lettre de l’article L. 133-6 précité du code de commerce ne reprend pas « expressément », dans ce cas précis, l’exception de fraude ou d’infidélité. D’aucuns pourraient donc considérer que cette réserve concerne uniquement le transporteur.
Quant à la jurisprudence, elle est mitigée à ce propos mais la Cour de cassation s’est – une nouvelle fois – récemment prononcée en faveur d’une interprétation plus large de cette disposition. En effet, dans une décision rendue en mars 2020, la Haute juridiction a sanctionné l’arrêt déféré, estimant que la prescription annale doit être écartée dès qu'il y a fraude ou infidélité et ce pour toutes les actions dérivées du contrat de transport, sans distinction (Cass. com., 11 mars 2020, n° 18-25.552, Sas Electis c/ Sarl Avenir Transport Express, BTL 2020, n° 3778, p. 191 et arrêt déféré : CA Colmar, 3 oct. 2018, n° 16/04140, Lamyline) ; confirmant Cass. com., 22 mai 2013, n° 11-27.352, Bull. civ. IV, n° 88, BTL 2013, n° 3461, p. 339 et 347 ; Locatex c/ Gefco, Lamyline).
5) S’appliquent-elles aux actions récursoires ?
Non, seul le délai d’un an de l’action principale souffre de cette exception, laquelle ne concerne aucunement le délai d’un mois de l’action en garantie.
6) Existe-il un moyen certain de s’en prémunir ?
L’appréciation de l’existence de manœuvres frauduleuses s’effectue « in concreto » – en fonction des circonstances de l’espèce – et relève du pouvoir souverain des juges du fond, un point commun avec la faute inexcusable. Certes, il est possible de se fonder sur les différentes solutions jurisprudentielles afin d’éviter certaines pratiques. Toutefois, il n’existe aucune garantie ni moyen de prévention infaillible si ce n’est de faire preuve de bonne foi dans l’exécution du contrat.
7) Hormis les cas de fraude ou d’infidélité, les autres parties au contrat disposent-elles d’une alternative leur permettant de déroger à la courte prescription favorable au voiturier ?
Le délai de prescription prévu par l’article L. 133-6 du code de commerce n’est pas d’ordre public, il peut donc être modifié d’un commun accord par les parties. Ces dernières ont la faculté de l’allonger tout en respectant le seuil de dix ans fixé par l’article 2254 du code civil mais pas de le réduire le délai minimum étant d’un an.
Ont également un impact sur la durée de la prescription les causes suspensives et interruptives de la prescription, qu’elles soient légales (C. civ., art. 2230 et 2231) ou conventionnelles.
8) Quid en transport international ?
La CMR envisage l’hypothèse du dol ou de son équivalent dans la loi applicable (faute inexcusable en droit français) qui porte la prescription d’un an à trois ans (CMR, art. 32). Autre différence importante, le point de départ du délai de prescription en cas de perte totale. En CMR, le lésé peut agir dès le lendemain du 30e jour après expiration du délai convenu ou, si aucun délai n'a été convenu, le lendemain du 60e jour suivant la prise en charge de la marchandise par le transporteur. En revanche, en transport intérieur, le délai court à compter de la date initialement prévue pour la remise de la marchandise (contrat type « général », art. 25).
Par Aïcha Sylla
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