<< Retour aux articles
Image

Travail clandestin

Affaires - Transport
23/11/2020

Parce que, selon la chambre criminelle de la Cour de cassation, d’une part, les dispositions du code du travail applicables – et non celles des articles L. 3241-1 et s. du code des transports – ne prévoient pas une telle transmission, et d’autre part, l’inquiété a été informé de ce qui lui est reproché, lors de son audition, à laquelle il a consenti, par les agents de la DREAL, permise par les articles L. 8271-6-1 du code du travail et 61-1 du code de procédure pénale. Les sceptiques concluront à une sorte de pouvoir exorbitant de ces fonctionnaires ou de tous les fonctionnaires appelés à intervenir (C. trav., art. L. 8271-1-2), et à tout le moins à une méconnaissance des droits de la défense. Le Conseil constitutionnel vient de se prononcer, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité dans une affaire mettant en cause l’Urssaf (Cons. const., 13 nov. 2020, n° 2020-864 QPC).

D’abord, un coup d’œil sur le parcours du procès-verbal
Qu’advient-il du procès-verbal de travail dissimulé une fois établi ?
Alors que le suspect n’est pas destinataire, aux yeux des dispositions du code du travail, du procès-verbal qui l’incrimine, le procureur de la République le reçoit, aux termes de l’article L. 8271-8 du code du travail, « directement », et décidera de lancer ou non l’action publique, mais sans délai spécifique lorsque les agents de la DREAL se déplacent pour obtenir la communication de documents, dont la demande écrite est restée infructueuse (Cas. crim., 13 oct. 2020, n° 20-82.160 précité). A contrario, il est permis d’en déduire que dans le cadre d’une visite des locaux professionnels, cette communication au ministère public doit être effectuée dans un certain délai, lequel n’est pourtant pas davantage prévu par les dispositions du code du travail. Il est alors tentant de s’en rapporter au « sans délai » ou à l’immédiat – synonyme de directement de l’article L. 8271-8 du code du travail ? – prescrit par l’article L. 3241-4 du code des transports.
Aussi, en est destinataire le représentant de l’État dans le département dans lequel le travail dissimulé est soupçonné.
Enfin, tous les agents habilités à lutter contre le travail dissimulé, dont les inspecteurs et les contrôleurs du travail, les officiers et agents de police judiciaire, les agents des impôts et des douanes, les agents des organismes de sécurité sociale et des caisses de mutualité sociale agricole agréés à cet effet et assermentés, les agents de la DREAL, ou encore les agents de Pôle Emploi, chargés de la prévention des fraudes, agréés et assermentés à cet effet, se communiquent toutes les informations utiles à leur mission, dont celles contenues dans le procès-verbal, et avec, cet instrumentum, qui fait foi jusqu’à preuve du contraire (C. trav., art. L. 8271-8).
C’est dans ces circonstances, que les organismes de recouvrement des cotisations de sécurité sociale (les URSSAF) sont destinataires dudit procès-verbal, lequel n’a donc pas été préalablement adressé au suspecté (C. trav., art. L. 8271-8-1 ; CSS, art. L. 213-1).

 

Procès-verbal d’audition
L’article L. 8271-11 du code du travail prévoit l’établissement facultatif d’un procès-verbal d’audition du suspecté, procès-verbal contradictoire en ce qu’il est signé par les participants à l’audition. Ce procès-verbal n’est pas davantage  expressément destiné à être ensuite transmis à l’intéressé, contrairement au procès-verbal de l’article L. 3241-4 du code des transports.
 



L’affaire soumise au Conseil constitutionnel
La deuxième chambre de la Cour de cassation est saisie d’une affaire dans laquelle une société de transport routier de fret interurbain a fait l’objet d’un redressement de cotisations et de contributions sociales de la part des URSSAF (Unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales) sur le fondement d’un procès-verbal de travail dissimulé durant cinq ans, établi par la police aux frontières, lequel n’a pas été communiqué au transporteur. Se pose alors de manière légitime, du côté du transporteur, la question du respect des droits de la défense (article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789), eu égard à l’interprétation des juridictions. L’interrogation, jugée sérieuse par la Cour de cassation, est alors renvoyée aux Sages de la rue de Montpensier, sous forme de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) suivante : « Les dispositions de l'article L. 243-7-5 du code de la sécurité sociale, dans leur version issue de la loi 2012-1404 du 17 décembre 2012, […], en ce qu'elles autorisent les organismes de recouvrement à procéder au redressement des cotisations et contributions dues sur la base des informations contenues dans les procès-verbaux de travail dissimulé * qui leur sont transmis, sans prévoir la communication préalable desdits procès-verbaux à la personne à laquelle est réclamé le paiement des cotisations et contributions prétendument dues, méconnaissent-elles les dispositions de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen garantissant le respect des droits de la défense ? » (Cass. 2e civ., 10 sept. 2020, n° 19-24.836, Lamyline).
Or, le redressement opéré par les URSSAF sur le fondement du procès-verbal non communiqué ni par la police aux frontières ni par les premières au transporteur a pour effet, d’une part, de remettre en cause les mesures de réduction ou d’exonération de cotisations de sécurité sociale ou de minorations de leur assiette, et d’autre part, de rajouter aux majorations de retard d’ores et déjà dues des majorations particulières. En d’autres termes, le transporteur n’est pas mis en mesure de connaître les éléments de l’accusation, lesquels ne sont pas, à la différence du procès pénal, versés dans le dossier de « sécurité sociale » (dossier pénal dans la procédure pénale).

Le respect des droits de la défense, le principe de la contradiction ou encore le principe d’égalité devant la justice (différence entre la procédure pénale et la procédure de sécurité sociale) invoqués par le transporteur sont-ils alors méconnus ? En principe, l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen invoqué commande qu’il « ne [doive] pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction » (Cons. const., 23 juill. 1999, n° 99-416 DC). Cet article implique ainsi le droit à un procès équitable et le principe du contradictoire (Cons. const., 13 sept. 2013, n° 2013-338/339 QPC), au cours d’une procédure engagée effectivement. Dans la présente affaire, la référence expresse au recours effectif n’apparaît pas dans la décision du Conseil constitutionnel.

En tout état de cause, selon les Sages, l’article du code de sécurité sociale critiqué – et par transposition, les articles L. 8113-7 et L. 8113-8 du code du travail ? – n’a ni « pour objet [ni] pour effet de faire obstacle à l’application des dispositions législatives ou règlementaires instituant une procédure contradictoire en cas de redressement des cotisations ou contributions » après que les faits de travail clandestin sont constatés par les contrôleurs. L’article en cause autorise simplement les URSSAF à procéder à des redressements sur le fondement du contenu du procès-verbal de travail dissimulé. Ces redressements peuvent ensuite être contestés, dans le respect des droits de la défense avec la communication des éléments de fait et de droit à chaque partie, par l’intéressé, au cours d’une procédure ou avant, lors d’une réclamation auprès des URSSAF.

Cons. const., 13 nov. 2020, n° 2020-864 QPC.

* C’est en réalité sur les mots soulignés en gras par l’auteur de ces lignes que porte la question prioritaire de constitutionnalité. ●


Par Nanahira Razafimaharavo